J'ai participé hier à Strasbourg au congrès de la Fédération Nationale de la Presse Française qui fédère 2000 titres "papier" au travers de leurs syndicats traditionnels: SPQN pour les quotidiens nationaux, SPQR pour les régionaux etc...
Ce congrès qui ne se réunit que tous les 3 ans rassemble les dirigeants
d'une profession fortement secouée par Internet (ainsi que par le
développement des journaux gratuits).
L'inquiètude était palpable dans plusieurs interventions, en ces temps
de baisse de la diffusion et des revenus publicitaires ... Et pourtant
j'ai été surpris d'entendre davantage d'appels à la mobilisation pour
la " défense de la profession" et "l'arrêt du piratage" que d'appels à
prendre toute la mesure de l'importance d'Internet et à investir
massivement le réseau qui est la clé de l'avenir de tous les médias.
Les attitudes et les opinions m'ont paru très contrastées, à l'image
d'une profession en crise confrontée à un changement extrèmement rapide.
Lors de la table ronde à laquelle j'ai participé j'ai bien senti que
tous les medias ne sont pas à la même enseigne. L'information
instantanée sur le Net remet bien davantage en cause la mission des
quotidiens que celle des magazines, qui semblent au contraire pouvoir
profiter d'une ouverture supplémentaire en diffusant à leur tour sur
leurs sites des flux d'information en continu. J'ai été très interessé
par les explications de Fabrice Boé Président de Prisma Presse qui a
expliqué que le métier des groupes medias est d'abord de gèrer des
marques et des contenus, qui peuvent éventuellement être diffusés
différemment à l'image du site Capital.fr qui publie en permanence en s'appuyant sur le mensuel.
Qu'on ne se meprenne pas je ne fais pas partie de ceux qui pensent
que les vieux medias sont morts, ni même que le support papier est
obsolète.
Simplement la croissance de la consommation
d'informations et des budgets publicitaires passe par Internet, et ce
n'est pas en ayant peur des changements que les medias traditionnels
tireront leur épingle du jeu. Seuls ceux qui sauront rapidement faire
de leur développement sur Internet une priorité seront bien positionnés
pour bénéficier de cette croissance.
Les sites des grands quotidiens français ont certes
déja une audience signicative, mais bien loin de ce celle des plus
grands services Internet. Et quels sont les moyens réellement consacrés
à leur développement en regard des énormes investissements consacrés au
support papier? et puis, n'oublions pas, les journaux français sont
handicapés par de très anciennes lois sur les droits d'auteur peu
adaptées à la diffusion des contenus sur différents supports...comme me
le rappelait le responsable d'un site de presse important à qui j'ai
proposé de faire un post sur Kelblog pour s'en expliquer.
J'ai essayé dans mon intervention de donner envie à tous ces patrons de
presse d'entreprendre sur le Net. De s'appuyer sur l'immense mouvement
des internautes qui blogguent, dialoguent, commentent, produisent de
l'info et des opinions. Je leur ai conseillé de distribuer résolument
leurs contenus via des flux RSS finement segmentés. Le RSS est
véritablement une révolution dans la distribution de l'information, il
rend les contenus accessibles à une audience bien plus large et diverse
que celle des habitués de tel ou tel site media. Il permet aussi la
création de services à valeur ajoutée tels que Wikio ou Netvibes, ce
qui finalement amène sur les sites éditeurs des lecteurs nouveaux et
plus fréquents.
Très intéressant ce billet. J'ai hâte de voir comment les grandes éditions vont s'en sortir du passage au web. Ca promet bien des surprises.
Pierre, comment te contacter par mail?
Rédigé par : Romain | 25 novembre 2006 à 12:19
Comme dans toute industrie, le passage d'une ère techno à une autre ne se fait pas sans coup de frein, ni aigreur.
Mais je suis surpris de voir qu'on ne parle pas plus, au sujet de la "grande presse", de la vague Web 1.0 qu'elle a connu. Et des investissements démesurés qu'elle a accompli, dans les années 2000/2001, ruinés en pure perte. Des tas d'équipes montées, ici ou là, des salaires énormes, des bidules cligontants déjà... Et pas un sous de revenu, ou si peu. Beaucoup de casse après, aussi, au niveau "RH" (je sais de quoi je parle...).
Alors, oui, je peux comprendre une certaine prudence en 2006. Même si elle n'excuse pas l'immobilisme et le manque de vue sur le "grand mouvement des choses"...
Rédigé par : laurent dupin | 25 novembre 2006 à 14:37
Pour avoir assisté à ce même congrès je confirme l'impression d'une attitude finalement encore trop défensive des éditeurs de presse quotidienne notamment. En tout cas, la seconde journée plus axée sur les enjeux des NTIC (c'est encore le terme utilisé, c'est dire!) aurait pu nous donner plus d'envie même si, là encore, les solutions techniques ont pris le dessus sur la question de l'offre contenu...
Rédigé par : dominique bannwarth | 25 novembre 2006 à 19:47
La presse 2.0 se cherche encore.
Cela dit, je suis d'accord que les atouts des éditeurs résident dans leurs marques et la qualité de leurs contenus. Mais ils doivent se réveiller et migrer rapidement dans le monde numérique, multi-média (texte, photo, audio, vidéo) et multi-plateforme (web, mobile, TV, consoles).
Enfin, il leur faut surtout capitaliser sur l'échange avec leurs lecteurs, qui sont potentiellement aussi des contributeurs aux contenus.
En attendant, les nano-médias UGC - User generated content - comme YouVox Tech (webzine d'actualité sur les nouvelles technologies, l'Internet et les médias), référencé dans Netvibes et Wikio, me semblent promis à un bel avenir.
http://www.tech.youvox.fr/
Rédigé par : Laurent Esposito | 25 novembre 2006 à 20:16
Vous soulevez ici l'un des nombreux problèmes de cette profession qui est massivement sur le terrain de la « défense "du métier » et qui n'accepte pas ou n'a pas totalement intégré qu'Internet modifiait totalement les relations entre producteurs et "consommateurs" d'informations. Je prends souvent comme exemple l'invention de l'automobile et les impacts sur les professions d'éleveurs de chevaux, de maréchaux ferrants, des relais de postes etc... Ceux qui sont restés sur la "défense de la profession" ont disparu. D'autres métiers ont émergé: garagistes, pompistes, fabricants de pneus etc... Cependant à leur décharge il est difficile de modifier un modèle économique avec une telle intensité. L’émergence des contenus générés pas les utilisateurs rend caduque la lecture de beaucoup de supports et les ratios de tarifs publicitaires entre la papier et le net interdit une migration sans repenser le modèle de production et de captation des contenus. Il n’est donc pas simple de transformer un média existant car il est impossible de transposer le revenu sur Internet. Il va donc y avoir une disparition massive de certains supports papier qui ne réussiront pas à survivre à la baisse de la vente au numéro et du déplacement partiel des budgets publicitaires vers Internet. Les derniers points concernent les types de contenus. Il est simple de comprendre que l’information brute est tellement diffusée que sa « valeur » diminue. A l’inverse le journalisme d’investigation reste hautement valorisé mais cette aspect journalistique à largement disparu avec notre culture du zapping.
Rédigé par : Christian Jegourel | 26 novembre 2006 à 16:38
Deux remarques :
1) je ne pense pas que les lois sur les droits d'auteurs soient un handicap. D'un côté vous avez des éditeurs de presse qui comprennent mal qu'il faille payer deux fois les journalistes - une fois pour leur travail de rédacteur dans le journal ou le magazine, et une autre fois pour diffuser les mêmes articles sur Internet - et on peut les comprendre ; d'un autre côté les journalistes n'acceptent pas qu'on ajoute à leur travail de rédacteur, celui de l'édition sur le web, et ce sans rémunération complémentaire ; et on les comprend aussi. Et chacun de camper sur ses positions, en brandissant qui le droit moral de l'auteur, le contrat de travail, la convention collective, qui la création d'une nouvelle équipe en Belgique, la vente de l'activité papier pour se concentrer sur le web avec de nouvelles équipes, l'impossibilité d'investir à un moment où précisément les recettes publicitaires se font rares... Et tout ça alors même que, tant les journalistes que les éditeurs, veulent "faire du web".
Non le handicap, vient du conservatisme des uns et de du corporatisme des autres. Ce qui représente une énorme opportunité pour ceux qui parviennent à trouver la solution de l'équation sociale et économique du problème (je pense au Nouvels Obs par exemple), ou pour de nouveaux entrants, pur "player" Internet. Et c'est bien ainsi.
2) Comme vous je ne pense pas que les vieux médias sont morts. Mais à s'être trop longtemps endormie sur des barrières à l'entrée qui n'existent plus sur le net, sur la barrière de la langue aussi, sur les protections que constituent les NMPP, la commission paritaire, les tarifs postaux, la presse magazine doit faire aujourd'hui un effort de qualité (et un investissement) important, si elle veut faire la différence avec le simple emballage de contenus d'agence de presse, les contenus autogénérés en tous genres (parfois sublimes), l'accès facile à des contenus internationaux dont l'economie d'échelle est d'un autre ordre.
Cet effort de qualité doit être con-si-dé-rable. Tel que les sites de presse doivent nous bluffer complètement, au point de nous rendre à cette raison que pour en benéficier, au moins pour la meilleure partie, quelques euros de notre poche, ne seraient pas dépense inutile. Pour prendre la mesure de l'effort à produire, prenez par exemple, dans un autre domaine, Google Earth. Comme moi vous avez été bluffé, et vous l'êtes toujours, par cet extraordinaire produit. Faut-il pour autant laisser à Google le monopole de la vente de chaque pixels de la representation de la terre à très grande échelle. Non bien sûr ! Que faire ? Certainement pas ce pauvre Geoportail, utile certes, mais sans ambition technique, ni commerciale. Alors quoi ? si vous ne l'avez pas encore fait, jetez un coût d'oeil sur Virtual Earth de Microsoft. Voilà l'échelle des investissements à faire pour la presse magazine de qualité et la demonstration qu'on peut toujours faire mieux. Autant dire tout de suite, que sauf concentrations majeures dans le secteur, sauf une vision planétaire à laquelle la presse magazine n'est pas nécessairement habituée, celle-ci ne sera plus, ou du moins elle ne sera plus européenne. Cette réflexion s'étend à l'édition dans son ensemble.
Rédigé par : Yves Heuillard | 27 novembre 2006 à 18:21
Votre compte-rendu du congrés de la FNPF me semble particulièrement intéressant, venant de la part d'un entrepreneur qui a beaucoup fait couler d'encre dans les médias économiques ces dernières années.
En 1997, je réalisais mon mémoire sur la mise en ligne des médias quotidiens, la création de lien social et la rentabilité à attendre.
Puis, journaliste pendant une dizaine d'années pour plusieurs quotidiens (en régions et à Paris), magazines et guides, j'ai pu constater le manque de culture internet chez beaucoup de mes confrères.
Aujourd'hui, je pense que les patrons de presse et journalistes ont peur et campent sur leurs positions et continuent à offrir une presse de qualité (réalisée sur le terrain avec rédacteurs professionnels et photographes pros, par ailleurs en voie de disparition).
Je pense également qu'il y a une large place pour la qualité et l'investigation qui n'a pas vocation à être gratuite mais bien vendue à des médias qui souhaitent investir dans cette info de qualité.
Malheureusement, je constate trop souvent un manque de prise de risque, de croyance dans la qualité de cette info de la part des décideurs actuels de la presse Française et probablement un déficit de remise en question.
En effet, le terme "enjeux", très défensif illustre le propos du débat soulevé à Strasbourg.
A titre personnel, j'ai mis en application ce que j'ai pu apprendre auprès de véritables pros en créant une agence de vente de reportages en ligne textes et photos. Certains journalistes et photographes de qualité me rejoignent et je sais que de nombreuses structures vont dans le même sens un peu partout où la presse écrite existe et est lue dans le monde.
Je trouve bien sûr que les régies pub Françaises sont encore très en retard par rapport à leurs homologues anglo-saxonnes qui ont déjà bien compris l'impact et la nécessité d'être annonceurs, notamment sur des sites de niche à forte valeur ajoutée.
En aucun cas, je ne crois que la presse écrite est morte. Elle a juste besoin d'être plus moderne pour coller aux attentes des nouveaux lecteurs (également gros consommateurs d'infos de qualité).
Je pense que la désafection actuelle des lecteurs de certains quotidiens Français tient beaucoup au manque de reconnaissance des lecteurs à travers le mode de vie de certains journalistes, un peu éloignés du terrain. Je vois trop de jeunes et moins jeunes journalistes de talent (aux références solides) ne plus arriver à vivre de leur travail pourtant très qualitatif et respectable.
Je demeure persuadé que les internautes exigeants devraient repositionner l'offre et la demande dans les années et mois qui viennent.
Au plaisir de vous lire,
Frédéric
www.grizzly-press.com
Rédigé par : Frédéric | 28 novembre 2006 à 16:32